Recherche n° 29 Béatrice Caliouw, La spécificité de l’accompagnement spirituel catholique en aumônerie d’hôpital. Réflexions à partir de l’anthropologie biblique
Depuis quelques années, différentes pastorales hospitalières d’Europe occidentale et du Canada s’efforcent d’échanger leurs recherches sur la manière de répondre tant aux nouvelles demandes d’accompagnement “spirituel” qui émergent dans le monde actuel qu’aux demandes plus classiques, enracinées dans la tradition chrétienne. De nouvelles définitions de la spiritualité semblent également émerger aujourd’hui, dans un monde qui semble vouloir s’éloigner des religions constituées, traditionnelles en nos contrées.
Dans le contexte de la Belgique francophone, Béatrice Caliouw cherche en tant qu’aumônière catholique, à recentrer une définition de la spiritualité « autour d’un “noyau dur” minimal, irréductible, d’une “spiritualité élémentaire” […] qui permette de penser un accompagnement spirituel à géométrie variable selon le lien qui unit la personne au Christ » (p. 7).
Pour s’appuyer sur une vision spécifique de l’être humain, elle commence par opter pour la relecture de l’anthropologie ternaire ou tripartite ” esprit, âme, corps”, chère à l’anthropologue Michel Fromaget, et déjà abordée auparavant, entre autres par le théologien Henri de Lubac et relue ensuite par le psychanalyste Jacques Arènes. A travers ses relectures, l’autrice découvre en outre que l’analyse anthropologique tripartite a existé chez nombre d’auteurs chrétiens au cours des siècles et qu’elle s’est inspirée du verset 1Th 5,23 de l’apôtre Paul. S’appuyant sur ce verset B. Caliouw entreprend dans une première partie exégétique très fouillée de décortiquer ce verset et de l’analyser, dans le but de voir si on reste en cohérence avec la Bible en posant que l’esprit l’âme et le corps sont bien trois dimensions de l’être humain.
Dans une deuxième partie anthropologique, l’autrice déploie les découvertes de son analyse exégétique tout en faisant appel à plusieurs auteurs en sciences humaines ainsi qu’à l’expression de Saint Paul « l’esprit de l’homme, qui est en lui » (1Cor 11b). Dans une intéressante reprise anthropologique, elle tente de répondre à son questionnement : Comment « le “noyau dur” de la spiritualité – même au sens large [peut-il être articulé] à la conception traditionnelle de l’accompagnement spirituel ? » (p. 36).
Elle commence par relever combien, dans l’anthropologie chrétienne, les différentes dimensions de la “tridimensionnalité” sont, non des composantes différenciées de l’être humain mais bien des « aspects » en lesquels il s’exprime tout entier. La reprise synthétique de différentes tentatives de montrer cette unité en ces composantes lui permet de constater qu’il est difficile d’en rendre compte.
Elle poursuit, en affirmant à la suite d’Henri de Lubac et du philosophe Jean-Louis Chrétien, que l’esprit qui est en l’homme est bien son esprit durant sa vie terrestre mais qu’il ne peut avoir été, au regard de la foi, qu’insufflé en lui, ce qui le met d’emblée en relation avec un Autre ou tout au moins une altérité. L’autrice en dégage cette conclusion : « Avec ces notions d’altérité et de relation dialogale et engageante à l’égard d’une réalité qui nous dépasse » on arrive « au seuil minimal en deçà duquel, on ne peut, en langage chrétien, parler de
spiritualité » (p. 41).
Faisant encore un pas de plus tout en refusant de répondre à la question de savoir s’il faut être chrétien pour s’accomplir en tant qu’être humain, l’autrice, s’inspirant ici surtout de Fromaget, développe la vision de l’être humain comme devant se développer, se « métamorphoser » progressivement, en vue d’un horizon de « divinisation, de déification ».
Elle s’appuie ensuite sur son expérience de l’accompagnement des mourants ainsi que sur la littérature y afférente pour nous démontrer qu’en fin de vie existent « ces notions d’achèvement, de métamorphose, de transformation de l’être humain, d’avènement d’une forme de vie autre que celle du corps physique » (p. 48). Elle réaffirme ici, en accord avec le jésuite Bernard Pottier et la psychiatre Dominique Struyf que « la vie spirituelle demande, au minimum, de s’ouvrir à une altérité qui nous fonde, à une forme de transcendance, et de s’engager dans une relation vitale avec elle » (p. 50).
Dans un dernier chapitre pastoral, B. Caliouw s’interroge sur l’accompagnement en hôpital de ces personnes “altérées” afin qu’elles puissent entrer en dialogue avec « la Source, cette altérité fondatrice si souvent déconcertante à l’heure de la souffrance » (p. 51).Elle nuance néanmoins son propos en ajoutant qu’on doit accompagner, comme le rappelle Lytta Basset « chacun à sa manière » et que même si elle décline son identité d’aumônière catholique, une personne peut l’avoir appelée pour des raisons qui lui sont propres. À l’aumônière d’être attentive « à ce qui lui donne souffle » (p. 53)
De nombreux exemples d’accompagnements incarnent ces propos, partagés tout en insistant sur l’importance, pour l’accompagnateur, de ne jamais se substituer à la source. D’autant que celui-ci est lui-même en chemin vers sa source. Reconnaissant parfois son impuissance et la terrible altérité du Dieu Tout Autre, l’autrice partage néanmoins sa conviction que l’altérité /résistance de Dieu cohabite avec le mystère incroyable de l’inhabitation de ce Dieu souffrant et Présent dans le cœur et jusqu’en la chair blessée de l’homme.
Ce travail très dense est une véritable source d’approfondissement pour la recherche d’une spiritualité et d’un accompagnement au sens chrétien du terme dans une pastorale qui recherche sa juste place dans un monde profondément changeant.
Myriam Gosseye, collaboratrice scientifique (UCLouvain)