Actes n° 24 L’Église face aux grandes endémies : quelle pastorale en contexte de Covid-19 ? Porto-Novo du 28 au 30 juin 2021 (Dir. Étienne Bonou)
• La pandémie résultant de l’apparition du coronavirus SARS-CoV-2 en novembre 2019 à Wuhan et qui a provoqué un état d’urgence sanitaire mondial dont l’Organisation mondiale de la Santé n’a déclaré la fin qu’en mai 2023 fera date dans l’histoire de l’humanité.
Cette dernière s’est d’une part brusquement aperçue que les progrès scientifiques, la technique et l’organisation moderne des États ne mettent pas les êtres humains à l’abri de fléaux que l’on pensait révolus définitivement, du moins dans les pays économiquement favorisés : la maladie peut encore faire souffrir et tuer massivement, mettant à rude épreuve les systèmes de santé publique les plus performants.
D’autre part, les moyens engagés collectivement pour se défendre du virus ont fait prendre conscience de la malléabilité des sociétés. Cette réactivité sociale a indéniablement constitué un atout face à la maladie : la faire reculer nécessitait des changements importants touchant la vie quotidienne, les plus spectaculaires étant les confinements plus ou moins radicaux de pays entiers. Mais la facilité avec laquelle les mesures gouvernementales se sont imposées aux populations pose question quant aux libertés individuelles et collectives et à la conception même de l’existence humaine. En effet, tous les aspects de la vie devaient brusquement s’effacer face aux exigences sanitaires, la santé des corps étant érigée en valeur suprême, avant toute aspiration morale, relationnelle, spirituelle.
La théologie pratique comprise comme démarche corrélative consiste à développer une réflexion théologique prospective à partir des questions pratiques qui se posent aux chrétiens et aux Églises. Dans le contexte évoqué à l’instant, c’est donc tout à fait logiquement que la Société internationale de théologie pratique s’est saisie de la question de la pastorale et de la santé, à l’occasion de son Colloque régional Afrique à l’Université protestante de l’Afrique de l’Ouest du 28 au 30 juin 2021.
Sous la présidence d’Étienne Bonou s’est déroulé un programme pluridisciplinaire dont les Actes sont édités par les éditions Clé à Yaoundé : L’Église face aux grandes endémies : quelle pastorale en contexte de COVID-19 ? (2023), préfacé par Célestin Kiki, alors secrétaire général de la CEVAA – communauté d’Églises en mission. Les Cahiers internationaux de théologie pratique mettent en ligne la version numérique de ces Actes.
• Trois enquêtes bibliques suivent la conférence inaugurale de Jean-Patrick NKOLO FANGA dont il sera question plus loin.
Simon Kossi DOSSOU interroge le motif vétérotestamentaire de la maladie et de l’épidémie. Une manière de souligner que la situation contemporaine n’est pas inédite, et de poser une pastorale de ce que l’on pourrait appeler une espérance active. Élargissant l’exploration à l’ensemble de la Bible, Matthieu AMONLO propose une traversée diachronique des réponses successivement apportées à la question « pourquoi le mal et la maladie ? » d’abord dans l’Ancien Testament puis dans le Nouveau, ce qui l’amène à porter son attention à la dimension symbolique de l’épidémie, à laquelle ne peut paradoxalement répondre qu’une anthropologie des ponts plutôt que des barrières. Mais comment entendre une bonne nouvelle telle que celle énoncée par Jésus à la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-21) en période de COVID ? C’est l’interrogation de Nicodème Ibiladé ALAGBADA(+). La réponse se situe sur le plan de la foi comme confiance en la parole donnée, malgré la maladie. Elle permet un nouveau regard sur les situations, marqué par l’espérance qui délivre « de la psychose et de la hantise de la mort ».
Une même herméneutique de l’espérance traverse l’essai, plus systématique, de Ghislain Agbèdè AFOLABI. Espérance active, là aussi, consciente qu’elle vit dans le « déjà et le pas encore », et qui ne consiste donc pas seulement à « présenter l’Évangile du Christ mais [aussi à] prier pour les chercheurs, le personnel médical, etc. »
• Un deuxième groupe de contributions reprend ces questions de fond à partir de points de vue plus directement contextuels : comment penser théologiquement la COVID en Afrique ? Ou plutôt, comment la pandémie y renouvelle-t-elle les réflexions de la théologie pratique ?
Hervé Djilo KUATÉ voit dans les lourdes conséquences financières des politiques de restriction des rassemblements, et donc des cultes, l’occasion de repenser le modèle économique des Églises africaines : passer d’un « christianisme de consommation » à un « entrepreneuriat ecclésial et pastoral ». Dieudonné Mushipu MBOMBO s’appuie sur les réflexions de Meinrad HEBGA pour proposer une herméneutique et une gestion de la maladie et de la souffrance qui tienne compte de l’anthropologie africaine, tout en offrant une libération évangélique. Le rôle du théologien pratique et du pasteur est alors de discerner ce qui relève du traitement médical et ce qui relève de la prière de délivrance. Comment la pandémie transforme-t-elle la vie de foi personnelle et communautaire ? C’est la question que traite Gertrude Laure TOKAM. La réponse est paradoxalement encourageante : il s’agit de redécouvrir la dimension existentielle de la foi : relation personnelle et communautaire confiance au Dieu vivant dans l’adversité. Les chrétiens et les Églises y sont en quelque sorte acculés par l’épreuve. Sous un titre provocateur, « Dieu parle-t-il à l’humanité à travers la COVID-19 ? et que dit-il ? », Étienne BONOU cherche en fait à s’éloigner des spéculations théologiques qui prétendent expliquer la pandémie en pénétrant le mystère d’une volonté divine surplombante. Comme Tokam, il invite à un retour aux fondamentaux de la foi chrétienne comme confiance en la bonté de Dieu exprimée en Christ, qui devrait sous-tendre une « pastorale d’anticipation », à même de fortifier les chrétiens soumis à une réalité difficile. L’Évangile comme moyen de résilience : c’est ce que propose Jacques Hippolyte TAYO Nji. Soulignant le caractère inhumain de la simple application des techniques de lutte contre la pandémie dans la mesure où elles réduisent l’être humain à son corps, il rappelle que le message de la Bible ne dispense pas les croyants de la réalité humaine et donc de la maladie et de la mort, mais leur apprend à les vivre de la foi en une réalité qui les dépasse : celle du règne de Dieu.
• Enfin, les quatre ultimes communications concernent des problématiques concrètes de la vie des Églises en contexte de COVID-19. Elles font ainsi écho à la conférence inaugurale de Jean-Patrick NKOLO FANGA mentionnée plus haut qui, d’entrée, indique de fait et sur pièce l’objectif du colloque : élaborer des pistes de réponses ecclésiales et pastorales aux situations inédites provoquées par la pandémie. Le recteur de l’Institut Camille Chazeaud redécouvre la fonction édificatrice des Églises de maison, « complément essentiel de la numérisation des activités ecclésiales » en corrélant les questionnements pragmatiques de la paroisse Galilée à Yaoundé pendant les restrictions sanitaires et les données néotestamentaires sur le rôle de « la maison comme lieu de transmission de la foi ».
À partir d’une modélisation des types d’appartenance ecclésiale (institutionnaliste, traditionaliste, communautariste, spiritualiste), l’enquête sociologique sur des « trajectoires » de membres de la paroisse Tohi à Yaoundé provoquées par les bouleversements dans la vie de leur communauté conduit Jacques Duclaire SAP à identifier des problématiques institutionnelles et pastorales plus larges dans l’Église presbytérienne camerounaise. La crise sanitaire soulève aussi en Afrique la question des moyens de guérison et plus largement de la connexion entre santé physique et spiritualité. Dans le contexte des Assemblées de Dieu, cette problématique prend volontiers la forme d’une ambivalence entre l’attente de l’action bienfaisante concrète de Dieu dans la vie (et donc la guérison) et le rejet dogmatique de la pharmacopée traditionnelle qui la promet. Albert Pascal NGOCK croise les données d’une enquête socioanthropologique et d’une exploration des Écritures, ce qui le conduit à valoriser un ministère de délivrance qui ne soit pas un simple décalque des pratiques traditionnelles vaguement christianisées, mais un véritable lieu d’évangélisation personnalisée. Michel LEBOMO OKALA a mené une enquête très précise sur la manière dont les Églises protestantes à Yaoundé ont adapté leur pratique de la sainte cène en période de restrictions sanitaires. La flexibilité du rite en protestantisme et le congrégationalisme expliquent la diversité des réponses ecclésiales. Mais quelles que soient ces dernières, on constate que la question de l’hygiène a fait son entrée en force dans la vie cultuelle, sans pour autant « déspiritualiser » la cène. C’est une interrogation de fond qui conclut le volume : celle de la mission prophétique de l’Église en Afrique en temps de COVID. Après un survol biblique du motif du prophète, Patrick BADOU propose une base d’un point de vue catholique à travers quelques documents magistériels, avant d’ouvrir des pistes pour une parole d’Église – et de croyants – dans le contexte de la pandémie. Une parole qui, rappelant l’Évangile de la bienveillance divine, serait de nature à affermir la dignité et la responsabilité des peuples africains.
Ce rapide panorama ne saurait rendre compte de la richesse des réflexions qu’offrent les différentes contributions au colloque de Porto Novo rassemblée dans ce volume. Le théologien « occidental » y trouvera une mine d’informations concrètes non seulement sur la vie des chrétiens africains et de leurs Églises, mais aussi sur les problématiques théologiques, sociologiques et anthropologiques telles qu’elles se posent à ses collègues africains.
Professeur Christophe Singer, Institut protestant de théologie (Montpellier)